Hors série 2017
Le « slum » et ses princesses
Nous avons tous nos maîtres à penser et à agir, des êtres exceptionnels qui cisèlent notre personnalité et nous aident à convertir en fruits l’espérance des fleurs…
Un de ces « phares de vie » m’avait dit un jour : « Philippe, si tu rencontres un pauvre, demande-toi non seulement comment tu peux l’aider mais surtout en quoi il peut t’améliorer ! ». J’ai pu récemment vérifier la sagesse de ce conseil après avoir été accueilli dans plusieurs bidonvilles de Manille. Nous pourrions, en effet, nous inspirer de nombreuses initiatives qui y ont été prises en vue de former les jeunes à devenir des adultes responsables de leur destin.
Quelques chiffres sur les Philippines : 12ème population au monde, 103 millions d’habitants, quadruplement en 60 ans, 50% des habitants ont moins de 24 ans, 45% vivent en ville. Le grand Manille abrite 16 millions d’habitants dont quelque 40% dans les bidonvilles. Chaque ville se divise en quartiers, les « barangays », qui constituent un modèle de démocratie : les enfants de 10 à 18 ans gèrent eux-mêmes leur propre association avec à leur tête un des leurs, élu. Ils sont chargés de réfléchir à leurs problèmes (paix et ordre, drogue, difficultés scolaires…) et de suggérer des solutions. Les enfants manifestant des dispositions de leadership reçoivent une formation sur les techniques de communication, les relations interpersonnelles, la planification et gestion de réunions. Leur rôle est d’organiser des activités pour les jeunes mais plus généralement de servir de modèle au niveau de leurs attitudes vis-à-vis d’eux-mêmes, des autres et de l’école. Les jeunes sont considérés comme des acteurs de changement dans leur communauté. Deux maîtres mots : responsabilité et partage des compétences avec les pairs.
En 2013, seuls 73% des enfants terminaient l’école primaire malgré un enseignement obligatoire et gratuit. Plusieurs obstacles s’élèvent sur le parcours des élèves : coût des trajets pour ceux situés loin de l’école, découragement, difficulté pour les parents de payer les fournitures ou l’uniforme… Dans une famille de 3 garçons n’ayant qu’un seul pantalon, les enfants se relayaient à l’école tous les 3 jours !
Dans toute cette misère, un puissant rayon de soleil : de nombreuses ONG fleurissent avec de merveilleux résultats. L’une d’entre elles, ERDA, fondée il y a 40 ans par le Père Tritz, jésuite, professeur d’université, récemment décédé à l’aube de ses 102 ans après plus de 40 ans au service des plus pauvres aux Philippines, a déjà aidé plus de 800.000 enfants. L’assistance couvre les uniformes, les fournitures scolaires, une participation aux frais de transport…mais elle innove en dépassant l’aspect purement matériel.
Dans une optique de « capacitation » [1] visant à donner aux jeunes les outils nécessaires à l’amélioration de leurs conditions d’existence, une formation leur est donnée à partir de 11 ans dans les domaines suivants : se connaître soi-même, ses forces et ses faiblesses; le respect de soi et des autres ; maîtriser ses émotions ; se donner des objectifs ( lointains et proches) ce qui implique l’établissement de priorités et la capacité de prédire les résultats liés aux choix opérés ; apprendre à résoudre les problèmes qui se posent ainsi que les conflits entre personnes ; comment s’organiser soi-même et gérer son temps ; se fixer un but en matière de productivité et de succès ; apprendre à planifier et à contrôler le suivi de son plan… On croirait lire un programme de séminaire pour multinationales mais ce sont les thèmes appréhendés lors de ces formations pour jeunes !
Autre innovation : un système d’apprentissage alternatif [2] est mis en place au niveau national pour permettre aux enfants en décrochage scolaire de bénéficier d’une formation. Basée sur une pédagogie spécifique, elle leur donne une qualification analogue au diplôme de primaire ou d’humanités. Notons également l’implication des enfants dans les cours de rattrapage en lecture et mathématiques pour aider ceux d’entre eux ayant des difficultés scolaires. Tout en créant un climat de solidarité, cette assistance responsabilise les jeunes aidants.
Nous passons tous par des moments d’interrogation sur le sens de notre existence, sur l’utilité de notre être ou de nos avoirs…Oserais-je suggérer un remède radical ? Un vol direct vers SABANA, le bidonville près de l’ancienne montagne fumante, pour nager dans un océan de sourires et refaire le plein d’optimisme et de courage. Chères petites mamans de SABANA, vous qui, petites par la taille mais grandes par le coeur, êtes les princesses du lieu, on se sent si modeste à côté de vous. Puissiez-vous encore longtemps nous distiller cette merveilleuse leçon de vie : sans attendre l’assistance de l’Etat ou de la Providence, vous dites votre conviction que seuls vos efforts, l’éducation que vous donnez avec soin à vos enfants et la prise de conscience de vos devoirs autant que de vos droits vous assureront une vie meilleure ! Faut-il donc aller si loin pour nous rappeler l’importance de la responsabilité individuelle et du sens de l’effort ? Merci pour ce message dont nous avons grandement besoin!
Comme nous le voyons, la joie de contribuer à l’amélioration de la société n’est pas limitée à quelques privilégiés. Nous sommes tous appelés, quelle que soit notre situation, à connaître cet honneur!
Notes et références
- traduction du mot anglais « empowerment » que l’on peut définir comme un processus de renforcement des moyens et compétences par lesquels une personne peut améliorer ses capacités d’agir sur son univers et ainsi influencer positivement ses conditions d’existence.
- http://www.deped.gov.ph/als
Philippe Dembour, ancien animateur d’écoles de devoirs et auteur du livre sur l’éducation « Parents responsables » (Edit.Mols).